Communication au colloque Psychoanalysis and education
Université Canterbury Christ Church university du 25 au 27 novembre 2017
Rapport à l’écriture, double transitionnel et tiers épistolaire
À partir de mon expérience de la mise en place avec mon collègue et ami Frédéric Teillard d’un dispositif de travail aboutissant à l’écriture d’une correspondance qui cherche à explorer nos rapports respectifs à l’écriture — le premier volume vient d’être publié en France chez L’Harmattan sous l’intitulé Je t’écris dans le train. Correspondance littéraire —, j’aimerais proposer quelques éléments d’une réflexion théorique inspirée par la psychanalyse pour appréhender les spécificités de ce dispositif sur les partenaires de la correspondance, dans la ligne de certains travaux français portant sur le lien entre écriture de soi et trauma.
À travers cette correspondance, chacun de nous s’est interrogé sur ses modalités d’écriture en lien avec l’exploration d’éléments traumatiques de son histoire personnelle, nous conduisant à nous inscrire sous les auspices de ces lignes d’Arnaud Tellier qui évoque en 1998 dans son ouvrage Expériences traumatiques et écriture la « vertu traumatolytique de l’écriture, en [s’]inspirant de l’effet traumatolytique du rêve souligné par Sandor Ferenczi » et qui estime que « chez le sujet se heurtant à la double impossibilité de lier et d’oublier l’événement traumatique […] l’écriture intervient alors à titre de secours, tenant sa vertu curative du travail de liaison psychique et de secondarisation qu’elle requiert ». Aussi bien que sous les auspices des travaux de Jean-François Chiantaretto, notamment son article de 2014, où il écrit par exemple : « L’écriture de soi, dans l’adresse à l’autre, (re)donne la vie en donnant ce regard sur soi qui autorise à vivre par-delà l’expression de la culpabilité d’exister » ou encore « s’écrire, c’est se donner naissance dans le regard de l’autre ».
La forme de la correspondance que nous avons adoptée pour publier des traces de nos co-élaborations respectives ajoute à la dimension soulignée par les auteurs précédemment cités une nouvelle spécificité ; ici, le lecteur auquel est adressé l’écrit de la lettre est incarné et il répond en écho par son propre écrit. Je tenterai de montrer qu’en conséquence, pour chaque partenaire de la correspondance, l’autre vient incarner en quelque sorte son double transitionnel, cette figure imaginée par Johan Jung dans la construction de l’identité. En ce sens, ce dispositif permet de créer un « champ intermédiaire d’expérience au sein duquel l’altérité pourra se déployer sans faire courir le risque de déborder les capacités de traitement dont dispose le sujet », pour « soutenir [sa] continuité interne » mais aussi constituer un « espace de différenciation et de séparation psychique » « entre le dedans et le dehors, entre soi et l’autre d’une part, et entre soi et soi ou entre différents “moments de soi” ou parties de soi d’autre part ». Le rapport à cet autre de la correspondance est ainsi source de vitalité et de créativité psychique. Au point que, à l’image du tiers analytique proposé par Thomas Ogden pour une séance analytique, nous avons pu avancer l’idée que la correspondance ait constitué pour nous une forme de tiers épistolaire.